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La grande souffrance des hôpitaux psychiatriques ; l’appel de 75 soignants à la nouvelle première ministre

       « La société appose au terme de schizophrénie une connotation de « fou dangereux ». La psychiatrie devient alors le réceptacle de toute la violence sociétale, qui vient se surajouter à la violence institutionnelle subie dans les hôpitaux depuis de trop nombreuses années.

      Lutter contre la stigmatisation des personnes malades est un combat de tous les jours. La crise covid a montré que ce combat était loin d’être gagné, et pas seulement dans le domaine de la psychiatrie.

     Lutter pour obtenir davantage de moyens humains à l’hôpital est un combat que j’ai voulu mener à mon échelle, c’est pourquoi j’ai co-signé une tribune, à l’initiative du Pr. Antoine Pelissolo, conseiller départemental, 1er adjoint à la mairie de Créteil.

    Je souhaite partager avec vous cette tribune, adressée à la nouvelle première ministre, et publiée récemment dans le Parisien :

Le texte de la tribune : «Créons des postes pour éviter le naufrage !»

     « Un dimanche d’avril aux urgences d’un grand hôpital de la région parisienne, 18 patients attendent une prise en charge psychiatrique, tous dans des situations graves imposant une hospitalisation immédiate : crise suicidaire, bouffées délirantes avec agitation, états dépressifs extrêmes, etc. Pour accueillir, évaluer, rassurer, surveiller, soigner, contacter les familles et les hôpitaux pour ces 18 patients : un psychiatre et un infirmier, et des locaux insuffisants. Ce débordement des capacités d’accueil se traduit par des heures et des jours d’attente sur un brancard ou une chaise dans un couloir, des fugues, des agitations, voire des bagarres, et forcément des professionnels débordés et épuisés, ne souhaitant qu’une chose : changer de poste, d’hôpital, voire de métier. Quel gâchis !

     La situation d’engorgement des urgences psychiatriques n’est pas nouvelle, elle s’aggrave d’année en année, en psychiatrie d’adultes comme en pédopsychiatrie. Mais, depuis la pandémie, nous vivons une accélération dramatique de cet engrenage. Deux raisons principalement : l’augmentation très forte des besoins de soins psychiatriques d’une part, et la fermeture de très nombreux lits dans les services spécialisés par pénurie de personnel soignant d’autre part.

     Pour nombre d’états psychiatriques aigus, et d’autant plus dans des contextes sociaux dégradés, le recours à l’hospitalisation est incontournable. Il est certes nécessaire d’intervenir en amont des crises et en ambulatoire, et ceci se fait de mieux en mieux. Mais il restera toujours des situations imposant un temps d’hospitalisation. Or, le travail en unités de soins psychiatriques, notamment les plus intensives, est particulièrement éprouvant et stressant. Il s’agit d’un travail d’équipe qui peut être passionnant mais qui demande de passer un temps long auprès des patients et de les accompagner dans leurs souffrances.

     Beaucoup de soignants ont heureusement cette vocation et cette compétence, et grâce à eux de très bons résultats thérapeutiques peuvent être obtenus. Mais hélas tout est fait aujourd’hui pour les dissuader de s’y investir et d’y trouver du sens : on leur demande de faire toujours plus vite, avec moins de personnels et moins de moyens, et pèsent sur eux de plus en plus de charges administratives. Les effectifs sont calculés au plus juste, sans tenir compte souvent des spécificités des soins psychiatriques et des aléas des absences et des situations difficiles (pics de patients, crises diverses, etc.).

     Cette perte de sens et cette pression du temps et des économies à réaliser génèrent un cercle vicieux de la pénurie. Pas assez nombreux à la base (même quand tous les postes sont occupés), les soignants quittent nos hôpitaux ou sont absents pour des raisons de santé, ce qui réduit encore plus les effectifs disponibles. On demande alors aux personnels de se remplacer d’un service à l’autre, de faire des heures supplémentaires, et de changer d’horaires en permanence. Cela les incite encore plus à quitter le navire, avec un effet dominos sur l’ensemble des services de psychiatrie et d’urgence où la charge de travail augmente. Le principal motif de découragement des personnels n’est pas le montant des rémunérations mais les conditions de travail, le stress, le sentiment d’épuisement et d’insécurité, et le décalage entre les aspirations professionnelles et la réalité du travail imposé.

     Alors que nous manquons de candidats, il pourrait paraître illusoire de fixer des objectifs de personnels à la hausse. Mais ne pas afficher de telles ambitions normales ne fait que nourrir la pénurie : les postes ne sont pas attractifs quand les candidats constatent que, de toute façon, ils seront en nombre insuffisant pour soigner correctement. La définition de ratios minimaux de soignants par service est une nécessité vitale, réclamée par tous ceux qui s’inquiètent de l’avenir de nos hôpitaux (rapport du Sénat en 2022, contrôleur général des lieux de privation de liberté, etc.). Les autorités s’y refusent, craignant de ne pas avoir les moyens de financer de telles mesures, mais cette abstention risque de coûter beaucoup plus cher à notre société très rapidement.

     La fermeture de services, voire d’hôpitaux, ne peut conduire qu’à des drames humains par absence de soins, avec des conséquences économiques évidentes : chômage, arrêts de travail, complications sociales, etc. Il faut continuer à développer les soins ambulatoires, la prévention des crises et les pratiques orientées vers le rétablissement mais, tant qu’elles sont nécessaires, maintenir des équipes d’hospitalisation en effectifs suffisants pour éviter toute maltraitance.

     La solution existe donc. Qui pourra prendre enfin cette décision courageuse de desserrer le carcan qui contraint sans cesse les effectifs hospitaliers et nous mène au naufrage ? Les directions hospitalières se doivent d’équilibrer leurs budgets et de respecter des plafonds d’emploi, et les ARS ne peuvent accorder des budgets qu’elles n’ont pas. Le ministre de la Santé ne semble pas avoir ce pouvoir, l’engagement doit venir de plus haut. Quoi qu’il en soit, et quoi qu’il en coûte, si rien n’est fait dans ce sens, un avenir très sombre nous attend.»

 

Laurent Marulaz, co-signataire de la tribune ci-dessus, publiée dans Le Parisien du 30 mai 2022

Texte et liste des signataires sur

https://www.leparisien.fr/societe/sante/le-sos-des-psychiatres-lance-a-la-premiere-ministre-30-05-2022-IXIHFMSPXFGK3ASUR7OPC2ZOAI.php?ts=1654117415313

Image : https://www.voixdespatients.fr/schizophrenie-maladie-tres-stigmatisee.html

 

 

 

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