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Intervention à l’Assemblée Nationale du député de Fontenay, Jean-Louis Bourlanges, sur la situation au Proche-Orient.

        Lundi 23 octobre 2023, le député de Fontenay*, Jean-Louis Bourlanges, président de la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale, est intervenu dans le débat sur la situation au Proche-Orient.

      Ci-après le texte intégral de son intervention à la tribune de l’Assemblée :

 

          29 novembre 1947, l’Assemblée Générale des Nations Unies décidait par 33 voix contre 13 la création de l’Etat d’Israël . Tout en prenant soin de proposer l’institution parallèle d’un Etat Palestinien. Proposition qui, à la suite de la guerre qui a accueilli la décision onusienne, n’a  jamais pu voir le jour.

         Et ce vote solennel, qui engage la communauté internationale, date à la fois le droit imprescriptible du peuple juif à vivre dans un état libre et souverain, et le lancinant problème posé par l’émergence indéfiniment différée de son jumeau palestinien. Israël était né, Ismaël restait dans les limbes. La tragédie prenait ses marques, au cœur d’un Moyen-Orient par ailleurs déchiré par le Guerre Froide.

 

         Le 7 octobre dernier, cette interminable tragédie a pris un cours décisivement nouveau et d’une gravité exceptionnelle. Israël s’est trouvée confrontée à une agression paramilitaire de première grandeur, menée par un Hamas résolu à piétiner tous les principes, toutes les règles, tous les visages régissant les relations entre les peuples, que ceux-ci soient en guerre ou en paix. Si les mots ont un sens, il est clair que l’agression conduite par le Hamas est à la fois terroriste, constitutive d’un crime de guerre généralisé et adosse à un discours à caractère génocidaire assumé.

        Le Hamas met en scène les pires violences sur les populations dans le seul but d’effrayer et d’intimider, c’est du terrorisme. Le Hamas ne fait la guerre qu’aux civils, c’est la définition même et dans son extension maximale, du crime de guerre. Les fidèles du Hama n’hésitent pas à appeler non pas simplement à la disparition de l’Etat d’Israël, mais à l’élimination des Juifs en tant que Juifs. C’est l’expression d’une volonté de génocide et d’un crime contre l’humanité.

 

        Face à une telle entreprise, Israël dispose d’un droit absolu à se défendre. Mais la question fondamentale que met sous une lumière brutale l’initiative sanglante du Hamas, c’est celle des moyens propres à assurer la sécurité à long terme d’Israël. C’est de la réponse à cette question que doivent répondre nos réactions à court et à moyen terme, comme celle de l’Etat hébreu. Comment un état de 20770 kilomètres carrés, peuplé de moins de 7 millions de Juifs, fer de lance d’une communauté humaine de près de treize millions de personnes, pourrait-il vivre durablement en paix et en sécurité au milieu d’un environnement, par hypothèse de style, de plus d’un milliard et demi de Musulmans.

       A cette question, la mauvaise réponse, mais aussi la plus tentante, est bien entendu celle du mur, du cordon sanitaire, supposé pouvoir soustraire l’Etat hébreu, puissamment militarisé, à toutes les menaces qui l’entourent. La combinaison de la faiblesse démographique d’Israël, et d’une diffusion générale d’armes de destruction de courte et de moyenne portée, a progressivement créé une situation d’extrême vulnérabilité sécuritaire pour l’Etat hébreu. Même l’arme nucléaire dont dispose Israël n’es pas de nature à assurer la survie d’un Etat concentrant toute sa population sur un espace aussi restreint.

 

        Pour définir ce que doit être la politique de la France, celle de l’Union Européenne, et plus généralement celle de la communauté internationale, face à cette terrible situation, il faut analyser sans œillères ni préjugés, ce qui s’est modifié ces dernières années sur la scène moyenne-orientale. Comme l’a très justement dit Monseigneur Vesco, archevêque d’Alger, la violence barbare du Hamas est sans excuse, mais pas sans cause.

        Avant la prise de pouvoir de Monsieur Netanyahou, les grands dirigeants historiques d’Israël, quelle qu’ai été leur sensibilité politique, ont eu une conscience aigüe de cette vulnérabilité. Après que la guerre du Kippour l’eût rendue manifeste, Isaac Rabbin qui avait vu au plus près le péril de la patrie, a porté, avec une force de conviction, et une volonté politique sans pareille, l’idée qu’il n’y aurait ni paix, ni sécurité pour Israël, si les Palestiniens ne se voyaient pas reconnaître eux aussi un Etat libre et souverain.

        Menahem Begin, venu pourtant de la droite de la droite, a assumé courageusement à Camp David le choix de la paix avec le principal ennemi d’Israël, l’Egypte post-nassérienne. Ariel Sharon, qui avait pris la mesure de l’impuissance de la force dans le cadre de l’intervention controversée qu’il avait conduite au Liban, avait, à la veille de l’accident de santé qui devait le terrasser, décidé d’amener son pays à renoncer à ses ambitions coloniales en Cisjordanie.

        Ces hommes avaient pressenti, et pour Isaac Rabin à tout le moins, pleinement reconnu qu’Israël ne trouverait la paix qu’à la condition d’établir, avec les Etats arabes qui l’entoure, mais aussi avec les hommes et les femmes de Palestine, une relation équilibrée qui supposerait le respect mutuel et le partage des bénéfices de la paix.

 

        La rupture introduite ces dernières années dans la politique israélienne par les gouvernements successifs de Monsieur Netanyahou n’est certainement pas la cause unique de la situation nouvelle, mais elle y a puissamment contribué. Le Premier ministre israélien, et son gouvernement construit en rupture avec la tradition laïque et libérale qui a dominé l’histoire intérieure d’Israël depuis sa création, ont paru méconnaître cette vulnérabilité structurelle de l’Etat hébreu, et ont agi comme si le problème palestinien appartenait au passé, et qu’il n’y avait plus lieu de prendre en compte les attentes, et de redouter les initiatives issues d’une communauté palestinienne divisée, disqualifiée, et dans ses formes les plus extrêmes, celle du Hamas, tout simplement acheté par son ennemi sur le plan technique.

       Il est clair que Monsieur Netanyahou, qui est sans doute le moins versé dans les affaires militaires de tous les chefs de gouvernement qui se sont succédé à son poste depuis la création d’Israël, n’a pas su maintenir entre le pouvoir politique, Tsahal, et les services de renseignement, l’étroite solidarité nécessaire à une mobilisation de tous les instants de l’appareil sécuritaire sur les bons enjeux.

 

       A court terme, ces défaillances se sont révélées lourdes de conséquences. L’essentiel est toutefois d’ordre politique. Monsieur Netanyahou a semblé imaginer que l’établissement de relations apaisées et coopératives avec les voisins arabes d’Israël, ce qui était en soi une excellente ambition, et se révèlera demain fort utile à la quête nécessaire de l’apaisement, pouvait avoir ce pouvoir indirect mais précieux à ses yeux de dispenser Israël de rechercher un accord équilibré et respectueux des attentes de leurs aspirations profondes avec les Palestiniens.

      Bien plus, les accords d’Abraham ayant permis aux états arabes d’abandonner les Palestiniens à leur triste sort, le gouvernement israélien s’est estimé libre d’engager sans risque une relance, rampante mais brutale et déterminée, de sa politique de colonisation en Cisjordanie. La politique d’Israël a changé, mais il serait injuste d’attribuer à l’Etat hébreu le monopole de la nouvelle brutalisation du monde, d’où l’horreur du 7 octobre est sortie. Partout, les forces attachées à la modération, à la coopération et à la paix, ont été battues en brèche. Les Palestiniens ont eu la tentation croissante et suicidaire de se réfugier dans une sorte de nihilisme politique, qui ne peut pas hélas nous surprendre. Une population sans avenir, donc sans espoir pouvait-elle être tentée par des partis modérés qui n’avaient rien à lui offrir ?

     Mais les Etats-Unis ont eux aussi leur part de responsabilité historique dans l’armement du piège. Les Etats-Unis qui n’avaient guère encouragé efforts des Européens en faveur d’un processus de paix fondé sur la quête d’une solution à deux Etats, et qui, à l’initiative de Donald Trump, ont basculé dans le camp des pousse-au-crime en cassant les accords de Paris avec l’Iran, et en cautionnant le transfert de leur ambassade à Jérusalem.

 

         L’Europe n’a, quant à elle, manqué ni à la lucidité, ni à l’imagination, dans son obstination à soutenir le seul modèle capable de transformer en partenaires des adversaires de toujours. Mais elle s’est révélée incapable de tenir le choc quand le Président Trump a décidé de sonner la charge contre toute solution d’équilibre et de bon sens.

       Force des analyses, faiblesse des volontés. Comment dans ces conditions ne pas voir que ce sont aujourd’hui les héritiers idéologiques des assassins d’Anouar El Sadate et d’Isaac Rabin qui tiennent ensemble la plume de la tragédie qui s’écrit sous nos yeux !

 

       Que pouvons-nous faire pour aider les peuples en détresse à tracer le bon chemin ? dans l’immédiat, il faut impérativement veiller à ce qu’une contre-attaque, légitime dès lors qu’elle vise exclusivement à détruire les moyens militaires de l’agresseur, évite les deux écueils majeurs que chacun a clairement identifiés.

        D’abord le risque d’une escalade incontrôlée pouvant conduire à un embrasement général. Derrière le Hamas, il y a le Hezbollah. Derrière le Hezbollah, il y a l’Iran. Derrière l’Iran, il y a la Russie et la Chine. Rendons à cet égard un juste hommage aux sang-froid et engagement du Président Biden, qui au rebours de son prédécesseur, met indiscutablement tout le poids des Etats-Unis au service de la modération, de la désescalade, de la libération des otages et du droit à la vie des populations civiles.

       Deuxième risque majeur, c’est en effet celui de l’anéantissement massif des populations civiles utilisées par les uns comme des boucliers humains, et par les autres comme l’exutoire d’une tentation de vengeance, pour reprendre l’expression préoccupante du Premier ministre israélien.

 

       La France, la Première ministre l’a justement rappelé, s’est engagée avec force sur cet enjeu essentiel. Au-delà des mises-en-garde, l’Union Européenne doit prendre toutes ses responsabilités pour assurer, avec les organisations humanitaires, l’acheminement massif des moyens de survie d’une population civile en détresse profonde .Sachons faire de ces gestes forts l’instrument du retour des otages. Il est des moments et des lieux où il est criminel de ne pas être au rendez-vous. L’Europe ne se relèverait pas d’être restée passive dans des circonstances aussi dramatiques. Reste à construire un avenir de paix. La tâche est redoutable en raison du mur de détresse et de haine qui sépare aujourd’hui Israéliens et Palestiniens.

     Aujourd’hui, il est à la fois trop grand, il est à la fois trop tard et trop tôt pour instituer deux Etats en terre de Palestine. Il est temps, et même grand temps, de commencer à réaliser les conditions qui rendront possible, le moment venu, cette double création.

      La première de ces conditions, c’est qu’Israël fasse cesser sa politique de colonisation, et reconnaisse enfin que la solution du problème palestinien ne saurait passer par l’exportation en Egypte des Palestiniens de l’Ouest et en Jordanie des Palestiniens de l’Est.

     La seconde de ces conditions est de recréer, avec l’appui notamment des Etats modérés du pacte d’Abraham, une Autorité palestinienne active, respectée, et capable de prendre à Gaza le relais d’un Hamas en cendres, et de négocier un statut respectueux des droits palestiniens.

       Au-delà du Moyen-Orient, les bonnes volontés existent, telle celle du Brésil, dont la France a eu raison de soutenir la résolution à l’ONU. Il nous appartient de nous associer à leur effort.

 

      Je suis le porte-parole du Modem, je suis donc tenu à une double exigence : tenir un discours équilibré, je l’ai fait ; et défendre la cause européenne. Je terminerai en évoquant le rôle essentiel que doit jouer l’Union Européenne, au service de la paix dans cette région tourmentée. Mais si l’Europe brisée et ruinée s’est reconstruite sur une idée simple et forte, celle qui a guidé la réconciliation franco-allemande, on ne peut trouver la paix avec l’adversaire qu’à la condition de prendre en compte ses besoins légitimes. C’est à l’Europe de convaincre Palestiniens et Israéliens de la pertinence de son logiciel de réconciliation, et c’est à la France de convaincre nos partenaires de relever ce défi historique.

 

       On peut retrouver sur le site internet de l’assemblée nationale, la vidéo** de la séance sur  la situation au proche-orient , vidéo contenant l’intégralité de l’intervention du député Jean louis Bourlanges

 

Suzanne Bourdet     Michel Faye

 

* Fontenay appartient à la douzième circonscription des Hauts de Seine formée des villes de Clamart, Chatillon, Le Plessis Robinson et Fontenay.

** https://videos.assemblee-nationale.fr/video.14107062_653678e5e6d76.1ere-seance--declaration-du-gouvernement-sur-la-situation-au-proche-orient-suivie-d-un-debatart-23-octobre-2023

Photo extraite de la vidéo de la séance du 23 octobre 2023

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